Fin du réseau cuivre : embrouilles sur le prix de l'ADSL

Par Yann Daoulas modifié le 08/02/2021 à 09h44

Accusé de laisser se dégrader le réseau cuivre, Orange réclame à l'Arcep une hausse du prix du dégroupage ADSL pour faire face aux coûts d'entretien, mais aussi favoriser l'adoption de la fibre.

Réseau ADSL : un DSLAM sur un NRA de Montée en débit

[Mis à jour le 08/02/21 avec la tribune de l'AOTA] Pannes à répétition, délais de réparation se comptant en semaines, voire en mois... L'état du réseau cuivre par lequel transitent la téléphonie fixe et l'ADSL n'en finit plus d'exaspérer les usagers, et les élus locaux. En particulier dans les zones rurales, dont les édiles ont à nouveau haussé le ton fin 2020 , appelant Orange à faire plus pour la maintenance de cette infrastructure essentielle pour leur administrés.

Une exigence notamment portée par la députée drômoise Célia de Lavergne (LREM), qui s'est vu confier dans la foulée une mission parlementaire "flash" sur la question. Mais aussi par la nouvelle présidente de l'Arcep, Laure de la Raudière, qui n'a pas manqué de rappeler, lors de ses auditions au Parlement, l'état du réseau cuivre "préoccupant en certains endroits".

Des centaines de millions d'euros...

Accusé depuis des années de laisser le réseau cuivre partir à vau-l'eau, Orange a décidé cette fois-ci de contre-attaquer. Dans Les Echos, son PDG Stéphane Richard n'y est pas allé par quatre chemins : "Si vous considérez que le réseau cuivre doit être opérationnel partout, à 100 %, avec des délais de réparation très courts sur l'ensemble du territoire, il faut probablement plusieurs centaines de millions d'euros supplémentaires".

Et pour y faire face, une seule solution, selon le patron d'Orange : augmenter le tarif du dégroupage, c'est-à-dire celui que paient les opérateurs pour utiliser le réseau cuivre de l'ex-France Télécom. "Ce débat doit être ouvert sérieusement", insiste Stéphane Richard, rebondissant ainsi sur la critique adressée à son groupe pour obtenir de Laure de la Raudière ce qu'il a échoué à arracher à son prédécesseur.

...et quelques centimes de hausse

Sous le mandat de Sébastien Soriano, l'Arcep ne lui a en effet octroyé que quelques centimes de hausse par ligne seulement dans le cadre du nouveau cycle de régulation, là où Orange espérait plusieurs euros. Pas assez pour permettre à l'opérateur de maintenir la qualité de service attendue, prévenait le groupe il y a un an dans sa réponse à la consultation de l'Arcep sur la réglementation des marchés fixes. Où il jugeait même "que le tarif du dégroupage en vigueur pour l’année 2020 aurait dû, en se plaçant dans la logique d’une juste rémunération des coûts, conduire Orange à dégrader la qualité de service".

On s'en doute, cette analyse n'est pas partagée par ses concurrents. Et surtout pas par Iliad. Pour la maison-mère de Free, la complainte de l'opérateur historique s'apparente à un marché de dupes. "Orange n'a pas dépensé cet argent pour entretenir ce réseau, volontairement, et dit aujourd'hui 'Ah bah non, ça ne marche pas, il faut plus d'argent, je vais augmenter les prix', mais en réalité c'est pour augmenter sa marge", tacle ainsi Xavier Niel, toujours dans Les Echos. Un argument que l'on retrouve du côté des fournisseurs d'accès entreprises, tributaires du réseau historique."Orange a retiré plus de 30 milliards d’euros d’un actif dont elle a hérité gratuitement : largement suffisants pour financer l’entretien", plaide ainsi l'Association des opérateurs télécoms alternatifs. Pour qui le problème dépasse la seule question des accès ADSL : "la qualité de service du cuivre aujourd’hui conditionne grandement celle de la fibre de demain", prévient-elle.

La forme et le fond

Pas plus que les 9,46 euros par accès de la période 2018-2020, les 9,65 euros retenus pour 2021-2023 ne conviennent donc à Orange. Un tarif qu'il conteste sur la forme, à savoir la méthode retenue par l'Autorité pour calculer ce prix. Car celle-ci ne s'appuie que pour partie sur les coûts effectivement supportés par Orange, et pour partie sur une modélisation des coûts de déploiement de la fibre optique, au sujet de laquelle le numéro un des télécoms dit nourrir de "sérieux doutes".

Mais sur le fond aussi, l'opérateur ne digère pas de devoir conserver un tarif de dégroupage bas (moins de 10 euros par ligne) pour voir ses concurrents casser les prix sur l'ADSL. Cela revient à "améliorer artificiellement" leur modèle économique à l'heure où tout le monde doit investir sur le très haut débit, fulmine-t-il. "Ce n'est pas au cuivre et donc à Orange de venir subventionner la fibre des opérateurs tiers".

Un ADSL plus cher pour doper la fibre ?

Enfin, selon Orange, la hausse du tarif du dégroupage aurait une autre vertu : un ADSL plus cher encouragerait le passage à la fibre et permettrait de vider rapidement le réseau cuivre. Mais l'argument ne convainc pas ses concurrents, c'est peu de le dire. Pour Free, il ne s'agit rien moins que d'un "contresens".

Laurent Laganier, directeur des affaires juridiques d'Iliad, s'en expliquait il y a un an lors du colloque TRIP de l'Avicca (à retrouver p.19) : "Il n’y a qu’une personne qui peut décider de fermer le cuivre, c’est Orange. (...) Pour qu’Orange décide de fermer le cuivre, il faut que le cuivre ne soit pas rentable". Et donc, CQFD, baisser le prix du dégroupage. Un argumentaire derrière lequel on voit poindre une accusation régulièrement formulée à l'endroit de l'opérateur historique, soupçonné de vouloir profiter jusqu'au bout de la "rente du cuivre".

Fermeture du cuivre : l'Arcep veut un plan

Alors, baisse ou hausse ? Ni l'un ni l'autre pour l'Arcep. Du moins pour l'instant. L'Autorité a opté pour un quasi statu quo. Parce qu'elle constate, d'une part, que la tarification du dégroupage n'a pas empêché la migration du cuivre vers la fibre d'accélérer ces dernières années. Mais aussi parce que l'argumentaire d'Orange ne la convainc pas : le groupe "n’a à ce stade présenté aucun plan concret de fermeture de son réseau cuivre dans lequel l’efficacité d’une incitation tarifaire sur le prochain cycle [2021-2023, ndlr] pour le vidage du réseau serait identifiée", écrit-elle dans sa décision d'analyse de marché pour 2021-2023.

C'est un point crucial pour le régulateur : si une telle feuille de route lui parvenait, il n'exclurait pas de revoir sa copie, dès le présent cycle de régulation. L'Arcep pourrait ainsi lâcher la bride à Orange sur les tarifs si elle juge que cela peut encourager la bascule vers la fibre là "où les réseaux en fibre optique jusqu’à l’abonné (FttH) sont les plus matures" . Et si cela concourt plus généralement à l'"efficacité économique" de l'ensemble - c'est-à-dire éviter d'exploiter trop longtemps les deux réseaux en parallèle. Qui plus est lorsque l'un des deux est en fin de vie.

Pour s'en convaincre, le gendarme des télécoms attend donc un projet beaucoup plus précis que la trame esquissée il y a plus d'un an par l'opérateur historique, un plan qui "présente des garanties d’un programme et d’un calendrier de fermeture ambitieux". Quand l'intéressé, manifestement peu désireux de s'engager dès à présent sur un plan de fermeture détaillé sous le contrôle du régulateur, plaide pour une approche plus "empirique". On augmente le tarif d'abord, et on affine ensuite. À écouter Orange, les griefs visant l'état du réseau cuivre ne viennent finalement qu'apporter de l'eau à ce moulin. Assez pour faire sauter la digue réglementaire ?

 

 

 

 

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